Diaghilev

novateur

Diaghilev

novateur

Un charlatan plein de brio

« Je suis :
1° un charlatan, d’ailleurs plein de brio ;
un grand charmeur ;
un insolent ;
4° un homme possédant beaucoup de logique et peu de scrupules ;
5° un être affligé, semble-t-il bien, d’une absence totale de talent.
D’ailleurs je crois avoir trouvé ma véritable vocation : – le mécénat. Pour cela, j’ai tout ce qu’il faut, sauf l’argent, – mais ça viendra ! »

Lettre de Serge Diaghilev à sa belle-mère, Elena Panaïeva-Diaghilev (1895)

Tous ceux qui ont approché Serge Diaghilev (1872-1929) soulignent sa puissante volonté, la détermination de son caractère, sa ténacité, la sûreté de ses goûts artistiques et la passion qui l’anime. Capricieux et volage, mais aussi conscient de son intense charme personnel et de son exceptionnelle sensibilité artistique, il réunissait toutes les qualités d’un « meneur d’hommes », comme lui reconnaît son ami, le peintre Alexandre Benois.

Léon Bakst, Portrait de Serge Diaghilev et de sa nourrice, 1905. Huile sur toile.
Saint-Pétersbourg, Musée Russe / Bridgeman Images.

L'Athènes de Perm

Serge Diaghilev est né en 1872 dans la province de Novgorod au sein d’une famille fortunée établie à Perm, une petite ville située près des monts Oural. Son père, Pavel Pavlovitch (1848-1914), était membre du régiment des Chevaliers-Gardes du tsar ; quant à son grand-père paternel, il possédait une importante distillerie d’alcool jusqu’à sa faillite en 1890.

Détail d'une carte de l'Empire russe en 1890. Source : gallica.bnf.fr / BnF.

Surnommé l’Athènes de Perm, le foyer des Diaghilev est le lieu de rencontre des intellectuels de la ville. Leurs idées libérales et leur goût des arts, spécialement de la musique, sont bien connus. Dans leur salon fréquenté par des gens de lettres et des musiciens, on interprète des extraits d’opéras : Rigoletto de Verdi, Une Vie pour le tsar, Rouslan et Ludmila deux opéras de Glinka… Parfois les rejoint sa tante par alliance, Alexandra Panaïeva-Kartseva (1853-1942), chanteuse lyrique admirée par Piotr Tchaïkovsky (1840-1893). Proche de la famille du compositeur, Diaghilev dans ses souvenirs se rappelle, enfant, de ses visites à « l’oncle Petia » à Klin.

Vue générale de la ville de Perm (1910). Photographie : Serge Prokoudine-Gorski. Source : Library of Congress.

Dans cette atmosphère créatrice, les talents musicaux de Diaghilev commencent à être remarqués. Bien que la musique ni les arts ne soient au cœur de sa formation, il reçoit ses premières leçons de piano et de chant, et s’essaye même à la composition.

Saint-Pétersbourg
et les Nevsky Pickwickiens

En 1890, Diaghilev s’établit à Saint-Pétersbourg pour entreprendre des études de droit à l’université, tout en poursuivant sa formation musicale avec le baryton Antonio Cotogni (1831-1918) et avec Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908). Si à Perm il bénéficie de la reconnaissance sociale, il se rend vite compte – comme le signale Jean-Michel Nectoux – que sa situation mondaine dans le milieu pétersbourgeois était « entièrement à construire ».

Parrainé par son cousin Dmitri Filosofov (1872-1940), Diaghilev est introduit dans son cercle d’amis, les Nevsky-Pickwickiens, un petit groupe formé par des anciens élèves du gymnase de Karl Ivanovitch May. Alexandre Benois (1870-1960), Léon Bakst (1866-1924), Walter Nouvel (1871-1949), Konstantin Somov (1869-1939) – qui deviennent ses futurs collaborateurs et amis – acceptent Diaghilev dans un premier temps dans leur « cénacle » en tant que « cousin de Dima ». « L’impression générale était celle d’un bon garçon », se rappelle Benois, « un peu rustaud, un peu provincial, pas trop dégourdi ».

Léon Bakst, Portrait de l'artiste Alexander Benois, 1898. Aquarelle et pastel sur papier, 64,5 x 100,3 cm.
Saint Petersbourg, Musée russe / Photo © Fine Art Images / Bridgeman Images

Au début, Diaghilev supporta les critiques de ses nouveaux amis, qui jugeaient ses goûts artistiques « douteux ». Mais progressivement, avec leur aide il « [élargit] ses sympathies », dépasse la « sensualité émotive » et exprime avec aplomb les raisons qui l’entraînent, toujours d’après Benois, « par bonds de l’indifférence à l’enthousiasme, de l’ignorance complète à une compétence étonnante. »

Amedeo Modigliani, Léon Bakst, 1917. Huile sur toile, 55.3 x 33 cm. Washington, National Gallery of Art, Chester Dale Collection.

Entre 1890 et 1896, Diaghilev entreprend en compagnie de Filosofov des longs voyages en Europe. Berlin, Munich, Vienne, Paris, Nice, Venice, Florence, Rome, Naples sont souvent sur leurs itinéraires. Il visite musées et ateliers d’artistes, acquiert des objets d’art rares, songe même à un « musée Diaghilev ». Ces voyages sont par ailleurs ponctués par de fructueuses rencontres. En France, il fait la connaissance de Charles Gounod (1818-1893), Camille Saint-Saëns (1835-1921), Jules Massenet (1842-1912), Jacques-Émile Blanche (1861-1942), Aubrey Beardsley (1872-1898).