Dans l’atelier

de Debussy

Dans l’atelier

de Debussy

« ... attraper des papillons dans le fond d’un encrier … »

« […] mais, à côté de l’homme habitué à passer ses jours près d’une table, et à n’avoir de joie qu’à attraper des papillons dans le fond d’un encrier, il y en a un autre qui ne répugne pas aux aventures, et de mettre un peu d’actions dans ses rêves ! quand ça ne serait que pour y revenir, et ne plus les voir aussi souvent fauchés par de trop misérables réalités ! »

Claude Debussy au prince André Poniatowski, 9 septembre 1892

Au fil de la lecture de l’abondante correspondance de Claude Debussy, on pénètre dans son atelier d’artiste : « petite cuisine […] mais qui comme toutes les choses de laboratoire ne se fait pas en public », « chimie des phrases », « chimie harmonique »… ; autant d’expressions qui sous la plume de Debussy se teintent de « mystère ». Rares sont les privilégiés autorisés à pénétrer dans le secret de son cabinet de travail où « étaient rangés manuscrits, encrier et crayons dans un ordre parfait » (Michèle Worms). Seules les personnes sensibles à la recherche « sans lassitude [de] l’Inexprimable, qui est l’Idéal de tout art » y étaient admises.

Claude Debussy dans son bureau de l'avenue du Bois de Boulogne, 1910. Source : gallica.bnf.fr / BnF.

Debussy use volontiers d’un vocabulaire onirique ouvrant sur des espaces immatériels, voire sur l’occultisme, qu’il anime d’un lexique emprunté aux arts plastiques : « arabesque », « fresque », « estampe », « enluminure »… Le choix scrupuleux des termes qu’il emploie est sans doute à mettre en rapport avec la précision de sa musique, l’élégance de son écriture jusqu’au soin apporté au choix du papier. Autant de reflets d’un travail patient et inlassable pour atteindre une « musique qui ne [lui] est pas venue en écoutant la chanson des galets remués par la mer ».

Claude Debussy, 1ère page du manuscrit mis au net de la première des cinq Ariettes L.63/(60) « I. Le vent dans la plaine suspend son haleine (Favart)... », encres noire et rouge, cotage au crayon, 1885-1886, ms. acquis par F. Lang probablement entre 1932 et 1933. Fondation Royaumont, BmFL.

Les nombreuses esquisses, manuscrits mis au net, épreuves, partitions annotées et corrigées conservées en France comme à l’étranger témoignent du travail d’un créateur en quête de perfection. Le musicologue François Lesure (1923-2001) en a dressé le catalogue qui fait désormais autorité. Ce travail scientifique accompagne l’édition critique des Œuvres complètes de Debussy initiée par F. Lesure et dont aujourd’hui, Denis Herlin est le rédacteur en chef. Entreprise éditoriale internationale réunissant les plus éminents spécialistes du compositeur, cette « monumentale » offre aux publics mélomanes la possibilité de mieux saisir le processus de création des œuvres de Debussy à travers une description et une étude génétiques de leurs sources. Sans doute, François Lang aurait-il cherché à se procurer les volumes qui la composent tant cette approche critique de l’Œuvre de Debussy, l’explicitation du cheminement de sa pensée, rejoignent-elles les préoccupations du pianiste-collectionneur.

Exemplaires des Œuvres complètes de Claude Debussy, Paris, Durand-Salabert, (d.r.).