Retour à Vienne – Retour à Prague

1933-1938

Vue de la Hofoper de Vienne au début du siècle dernier

Retour à Vienne/à Prague

1933-1938

Six mois après son départ de Berlin, Alexander Zemlinsky assiste à la création à l’Opéra de Zurich de son nouvel opus : Le Cercle de craie (Kreidekreis), d’après une pièce de l’écrivain et poète Klabund (1890-1928), elle-même inspirée d’un conte chinois médiéval (Hui-lan-chi, de Li-Hsiang-tao) que reprendra Brecht en 1945. La création est un succès, saluée en Suisse comme aux États-Unis, peut-être sous l’influence du chef d’orchestre du Metropolitan Opera de New York, Artur Bodanzky (1879-1939), qui fut l’assistant de Mahler à la Hofoper après avoir étudié avec Zemlinsky, et qui y avait créé ses Sechs Gesänge en 1924 puis son Psaume 23 en 1927.

Alexander Zemlinsky
Alexander Zemlinsky (s.d.). © The Moldenhauer Archives, Houghton Library, Harvard University

Bodanzky jouera un rôle important lorsque son ancien maître arrivera aux États-Unis après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938, soit en même temps qu’Alma (pourtant devenue admiratrice du Duce comme du Führer) et que son mari Franz Werfel, pour lequel il avait composé en 1935 un chant pour voix et piano d’après L’Idée de Béatrice (Ahnung Beatricens).

Un autre de ses anciens élèves, Erich Korngold, avait répondu dès 1934 à l’invitation de Max Reinhardt, et s’était établi à Hollywood sur la côte Ouest cette fois, où il devint l’un des plus grands compositeurs de musique de films. Bien que Zemlinsky se soit rendu compte après dix-huit mois seulement qu’il n’avait plus rien à apprendre au jeune prodige de douze ans, Korngold conserva toujours le souvenir aigu de ses leçons, et il n’est pas étonnant que son enseignement imprègne encore, trente ans après, sa propre musique.

Mais c’est sans doute envers Alban Berg que Zemlinsky dirigea son affection la plus profonde, et avec lequel il entretint l’amitié la plus durable depuis qu’avec Schönberg il avait été son professeur à Vienne en 1904. La mort soudaine de Berg survenue à Vienne la veille de la Noël 1935 le laisse profondément désemparé. Il rompt ses engagements à l’étranger et se consacre ainsi pendant trois mois à la composition d’un tombeau pour son ami : le Quatuor à cordes n° 4 opus 25, qu’il sous-titre « Suite » en hommage à la Suite lyrique (1927) de Berg, elle-même intitulée ainsi en référence à la Symphonie lyrique (1924) de Zemlinsky.

Le temps des tournées

Zemlinsky de trois quart avec lunettes et nœud papillon
Alexander Zemlinsky (s.d.). © The Moldenhauer Archives, Houghton Library, Harvard University

L’année suivante, il honore finalement l’invitation à diriger l’Orquestra Pau Casals au Liceu de Barcelone en février 1936. Plus encore qu’auparavant, depuis son départ de Berlin, Zemlinsky n’a eu de cesse de diriger dans les capitales étrangères : Prague à plusieurs reprises, mais aussi Paris, Rome, Varsovie et en URSS, notamment à l’Opéra d’Etat de Leningrad, et même dans la capitale allemande où l’intendant du Staatsoper parvient à donner vingt fois Le Cercle de craie en 1934 avant que les nazis n’interviennent.

Ces succès garantissent à Zemlinsky un confort matériel inconnu jusqu’alors. Avec Luise Sachsel (1900-1992), son ancienne élève de vingt-neuf ans sa cadette qu’il a épousée moins d’un an après la mort d’Ida en 1930, il acquiert un terrain dans la banlieue résidentielle de Grinzing où il fait construire en 1934 une villa dessinée par Walter Loos (1905-1974), proche (bien que non lié à lui) des thèses et du style du célèbre architecte viennois Adolf Loos (1870-1933). Ni Luise ni Alexander Zemlinsky ne profiteront longtemps de leur demeure nouvellement construite. Le 12 mars 1938, en effet, les troupes allemandes pénètrent en Autriche. Le 10 septembre de la même année Luise, Alexander et sa fille Johanna gagnent Prague.