François Lang,
la trajectoire d’un artiste
La trajectoire
d’un artiste
Le collectionneur
Les critiques amenés à commenter le jeu du pianiste François Lang relèvent fréquemment son « intelligence des textes ». Cette qualité est sans doute à rapprocher de l’intérêt que l’artiste porta à la réflexion sur les sources musicales. Suivant l’exemple d’Alfred Cortot (1877-1962) qui fut le plus grand pianiste-collectionneur du xxe siècle, François Lang parvint à réunir en une dizaine d’années, soit de 1931 à 1941 et parallèlement à la conduite de sa carrière artistique, une collection de près de 1 300 ouvrages anciens couvrant un empan chronologique allant de la fin du xve siècle aux premières décennies du xxe siècle. Les partitions les plus anciennes conservées ici sont les cinq parties vocales séparées constituant le « Dulcissimae quaedam cantiones, numero xxxii » du compositeur et organiste allemand Johann Knöfel (entre 1525 et 1530 – 1617), datées 1571.
La collection musicale de François Lang contient des manuscrits autographes ou de copistes, des épreuves corrigées, des premières éditions annotées ou non… soit autant de sources qui témoignent de la curiosité de l’artiste pour des répertoires anciens et des documents susceptibles de guider le pianiste dans ses choix interprétatifs. Car pour François Lang, la collection est un « outil de travail » mis au service de son art d’interprète, une source de réflexions sur le processus créateur et la transmission des œuvres à travers le temps. C’est sans doute pour cette raison qu’il s’attache particulièrement à réunir des documents qui témoignent du travail du compositeur (esquisse, manuscrits mis au net, épreuves corrigées), mais aussi diverses éditions d’une même œuvre parues à des époques différentes. Ainsi, au-delà de la beauté de certaines reliures et la préciosité matérielle de certains des volumes qui la composent, cette collection est avant tout celle d’un interprète en perpétuelle réflexion sur son art.
La collection de François Lang dépasse, et de loin, les limites de la musique pour claviers. Si les répertoires pour clavecin, orgue et piano y tiennent une place essentielle – premières éditions de Couperin, Haydn, Mozart, Carl Philipp Emmanuel Bach ou encore un important ensemble de recueils factices de musique instrumentale du xviiie siècle (pièces pour piano seul, trios et quatuors avec piano, quintettes) – ils n’excluent pas d’autres corpus tout aussi remarquables. On souligne la présence notamment d’un ensemble considérable de pièces relatives à l’histoire de l’opéra français, de son origine à la fin du xviiie siècle. Celles-ci relèvent de typologies variées (partitions, recueils, livrets, textes littéraires) et se distinguent par leur rareté (premières éditions, exemplaires remarquables par leur reliure, leur marque d’appartenance ou encore leur dédicace ou signature). Mais l’on se doit encore de mentionner les ensembles d’œuvres complètes des « grands classiques viennois Mozart, Haydn, Beethoven » réunis, un important fonds de traités et de méthodes (xve–xixe siècles), un précieux ensemble de sources manuscrites de Berlioz, particulièrement relatives à son opéra Les Troyens et encore plusieurs manuscrits autographes notamment de Schubert, Schumann, Liszt, Fauré… Avec naturellement une place privilégiée réservée à l’œuvre de Debussy. (Cf. section suivante).
à droite : Franz Listz, p. 4 du manuscrit autographe de la Ière Étude de Concert « A Capriccio » S. 144, ca. 1848 (encre noire et crayon rouge) ; à gauche, p. 72 des premières épreuves corrigées de la partition piano-chant des Troyens H.133, ca.1861-1862 (corrections autographes à l’encre rouge). Fondation Royaumont, BmFL.
Pour constituer sa collection, François Lang s’appuya notamment sur un réseau de libraires spécialisés français et étrangers : Gustave Legouix à Paris, chez Ellis ou Seligmann à Londres ou encore chez Olschki à Genève notamment. Il a également profité des grandes ventes des bibliothèques musicales de Camille Saint-Saëns (vente à Lyon, 1926), de Vincent d’Indy (vente à Paris, 1933) ou encore de celle de Claude Debussy (vente à Paris, 1933).
Heureusement préservée de la spoliation ou de la dispersion, les ouvrages composant la collection musicale de François Lang furent réunis en 1946-47 à l’abbaye de Royaumont (Val-d’Oise), alors propriété de sa sœur Isabel qui avait épousé en 1931 l’industriel et philanthrope Henry Goüin (1900-1977). C’est dans une des plus belles salles de cet ancien monastère cistércien, entre cloître et jardin, que fut alors aménagé un salon de musique dédié à la mémoire du pianiste-collectionneur prématurément disparu. Tenue en main privée jusqu’en 2006, cette collection fut acquise par la Fondation Royaumont, grâce au mécénat du groupe allemand METRO et placée à partir de 2009 au cœur de son projet culturel. En plus d’une décennie, plusieurs autres ensembles documentaires provenant de collectionneurs, de musicologues, de compositeurs et d’interprètes sont venus enrichir (fonds Florentin dédié à Jean-Philippe Rameau, Fonds Bathori-Kal, Fonds Jean-Yves Hameline, Fonds André Isoir, Fonds Frédéric Durieux…) sont venus s’agréger au fonds historique de la Bibliothèque musicale François-Lang (BmFL).
Cette bibliothèque constitue ainsi un objet de patrimoine qu’il convient de préserver et d’enrichir. Elle demeure une magnifique source d’inspiration et de réflexion pour tous les artistes et les chercheurs accueillis à Royaumont.