Focus
1910 : L'Oiseau de feu
1910 : l'Oiseau de feu
Focus
En quête d'un compositeur
« Il me faut un ballet, un ballet féerique russe, mais vous comprenez, pour les Français, pour Paris. Vous connaissez ici tous les jeunes compositeurs. Qui, selon vous ? »
Conversation avec Diaghilev rapportée par Boris Assafiev.
En 1909, Diaghilev était à la recherche d’un compositeur capable de mettre en musique un ballet féerique inspiré d’un conte traditionnel. Deux noms étaient pressentis : Nicolaï Tcherepnine (1872-1945) et Anatoli Liadov (1855-1914). Finalement la commande revient au jeune Stravinsky. Achevé le 18 mai 1910, à peine un mois avant la création, le style de la partition déconcerte les danseurs : Anna Pavlova (1881-1931) refuse le rôle de l’Oiseau, tandis que Tamara Karsavina (1885-1978) « ne parvint à l’assumer qu’avec l’aide de Stravinsky, venant répéter inlassablement des passages de sa partition au piano ». Les premiers spectateurs sont subjugués par la richesse harmonique de la musique de Stravinsky, à tel point que le critique Henri Ghéon s’exclame : « C’est comparé à L’Oiseau de feu que Schéhérazade sent un peu l’adaptation. »
Fiche technique
L’Oiseau de feu. Conte russe en 2 tableaux de Michel Fokine.
Musique d’Igor Stravinsky. Chorégraphie de Michel Fokine. Décors de Alexandre Golovine, exécutés par Nicolaï Sapounov et Charbey ; costumes de Alexandre Golovine et de Léon Bakst (l’Oiseau de feu, Ivan Tsarévitch, la Belle Tsarevna) exécutés par Ivan Caffi. Régie de Serge Grigoriev.
Créé à Paris, au Théâtre de l’Opéra, le 25 juin 1910, sous la direction de Gabriel Pierné.
Principaux interprètes : Tamara Karsavina (l’Oiseau de feu), Vera Fokina (la Belle Tsarevna), Michel Fokine (Ivan Tsarévitch), Alexis Boulgakov (Kostchéï).
Argument
« Ivan Tsarévitch voit un jour un oiseau merveilleux tout d’or et de flamme ; il le poursuit sans pouvoir s’en emparer et ne réussit qu’à lui arracher une de ses plumes scintillantes. Sa poursuite l’a mené jusque dans les domaines de Kostchéï l’Immortel, le redoutable demi-dieu qui veut s’emparer de lui et le changer en pierre ainsi qu’il le fit déjà à maint prince et à maint preux chevalier. Mais les filles de Kostchéï et les treize princesses, ses captives, intercèdent et s’efforcent de sauver Ivan Tsarévitch. Survient l’Oiseau de feu, qui dissipe les enchantements. Le château de Kostchéï disparaît, et les jeunes filles, les princesses, Ivan Tsarévitch et les chevaliers délivrés s’emparent des précieuses pommes d’or de son jardin. »
Dans ses Souvenirs, Karsavina relate les séances chez le peintre : « Blanche m’avoua que son sens du pittoresque était fort amusé par la minceur de l’ossature de mon visage qui contrastait avec la surprenante vigueur de mon cou. Il m’avait longuement étudiée pour savoir comment rendre cette particularité et avait finalement décidé de me peindre la tête tournée de côté, ce qui me donnait quelque chose d’impérieux, dans mon costume de l’Oiseau de feu. »
1911 : Pétrouchka
1911 : Pétrouchka
Un « Pierrot » russe
« Musicalement, la partie la plus difficile pour les danseurs dans ce ballet, est le finale. Après l’arrivée des masques, le compte à 5/8 est joué à un rythme très rapide. C’était tellement difficile à retenir que ma répétition se changea en une leçon de rythme. Je rassemblai la troupe autour du piano et leur demandai à tous de taper dans leurs mains. Chacun frappa des mains, mais à un rythme différent. »
Michel Fokine, Memoirs of a Ballet Master (1961).
Lors d’une visite à Stravinsky en Suisse à la fin de l’été 1910, Diaghilev apprend que le compositeur ne travaille pas au Sacre du printemps dont le projet lui était venu en achevant d’instrumenter L’Oiseau de feu. Intéressé par une pièce pour orchestre et piano, un « Concertstück » que Stravinsky lui joue, Diaghilev lui suggère d’en faire un ballet. Benois propose une scène foraine du carnaval à Saint-Pétersbourg. Dans ses Reminiscences, le peintre rapporte : « les rôles et le développement de l’action et la plupart des détails étaient de mon fait, mais tout ceci semblait presque une bagatelle en comparaison de la musique. Cependant, Stravinsky demanda à l’une des dernières répétitions : « Qui est l’auteur de Pétrouchka ? » « Évidemment c’est vous » répondis-je. Mais Stravinsky ne voulut pas l’admettre et protesta énergiquement, disant que c’était moi qui était le véritable auteur. Notre combat de générosité s’acheva de sorte que nos deux noms soient cités et encore insistai-je pour que le sien fût placé le premier. Mon nom apparut cependant une seconde fois sur la partition car Stravinsky me dédia Pétrouchka, fait qui me toucha profondément. »
Fiche technique
Petrouchka. Scènes burlesques en 4 tableaux d’Igor Stravinsky et Alexandre Benois.
Musique d’Igor Stravinsky. Scènes et danses réglées par Michel Fokine.
Décors et costumes d’Alexandre Benois ; décors exécutés par Anisfeld ; costumes exécutés par Caffi et Vorobiev ; régie de Serge Grigoriev.
Créé à Paris, au Théâtre du Châtelet, le 13 juin 1911, sous la direction de Pierre Monteux.
Principaux interprètes de la création : Tamara Karsavina (la Ballerine), Vaslav Nijinsky (Petrouchka), Alexandre Orlov (le Maure), Enrico Cecchetti (le Charlatan).
Argument
« C’est la foire du Carnaval à Saint-Petersbourg. […] Un charlatan habillé en magicien annonce du haut de son tréteau qu’il va présenter des poupées animées. Et vraiment son truc tient du prodige. Ses poupées, Pétrouchka (guignol) un Maure et une ballerine, dansent avec un entrain qui les ferait prendre pour des êtres vivants.
Au deuxième tableau, nous assistons à la vie intime de Pétrouchka. Il danse, il rêve, il souffre. Amoureux de la danseuse, il est jaloux du Maure. […] Au quatrième tableau la fête bat son plein. […] Tout d’un coup les danses et les chants sont interrompus par des cris qui partent du petit théâtre. Pétrouchka en sort poursuivi par le Maure que la ballerine essaie en vain de retenir. Mais le Maure furieux l’atteint et le frappe de son sabre. Pétrouchka tombe le crâne fracassé.
Le public s’émeut ne voulant pas croire que ce soient là des poupées. On va chercher la police qui arrête le magicien. Celui-ci tranquillement, relève le cadavre de Pétrouchka, qui au grand étonnement de l’assistance, se trouve n’être qu’une misérable poupée remplie de sciure de bois. » [Mais le spectre de Pétrouchka apparaît sur le toit de la baraque foraine, menaçant le magicien qui s’enfuit, terrifié.]
1913 : Le Sacre du printemps
1913 : Le Sacre
du printemps
« Un beau cauchemar »
« J’ai encore dans ma mémoire le souvenir de l’exécution de votre Sacre du Printemps chez Laloy. Cela me hante comme un beau cauchemar et j’essaie, vainement d’en retrouver la terrible impression. C’est pourquoi j’en attends la représentation comme un enfant gourmand auquel on aurait promis des confitures. »
Lettre de Debussy à Stravinsky, 7 novembre 1912.
En 1931 Stravinsky déclara que l’idée du Sacre du printemps lui était venue lorsqu’il achevait l’orchestration de L’Oiseau de feu, en mai 1910. Il se souvenait avoir vu en rêve, la danse solitaire d’ « une jeune fille devant un groupe de vieillards fabuleusement âgés, desséchés, presque pétrifiés ». L’argument évoquant de rites préhistoriques de la Russie païenne, Stravinsky s’associa avec Nicolas Roerich (1874-1947), peintre, voyageur et explorateur, membre de Mir Iskusstva, qui avait participé aux fouilles archéologiques dans la province de Novgorod. Cette prégnance du passé est traduite en musique. Bien que volontairement disimulé par Stravinsky plusieurs thèmes folkloriques irriguent la partition comme le montraient les recherches de Lawrence Morton et Richard Taruskin. Le compositeur s’est en toute vraisemblance puisé à source des mélodies traditionnelles.
Concernant la chorégraphie, toute liberté est laissée à Nijinsky. Néanmoins le résultat obtenu ne convaincra jamais le compositeur. Stravinsky, dans ses Chroniques se rappelle : « Quand, écoutant la musique, il méditait des mouvements, il fallait toujours encore lui rappeler de les faire concorder avec la mesure […]. C’était une besogne exaspérante […]. Ce travail devenait encore plus pénible pour la raison que Nijinsky compliquait et surchargeait ses danses outre mesure et créait ainsi aux exécutants des difficultés parfois insurmontables ».
Beaucoup a été dit sur la création tumultueuse du Sacre le 29 mai 1913. Toutefois la répétition générale à laquelle avait assisté des nombreux musiciens, artistes et gens de lettres s’était déroulé dans le calme. « J’étais à dix lieues de prévoir que le spectacle pût provoquer un tel déchaînement », s’étonna le compositeur. Le ballet, au programme des saisons russes de 1913, ne sera repris qu’à partir de 1920, cette fois-ci avec une chorégraphie de Léonide Massine (1896-1979) établie en étroite collaboration avec Stravinsky et qui ne tenait « plus compte d’aucun détail anecdotique, d’aucun développement littéraire ».
Fiche technique
Tableaux de la Russie païenne, en 2 parties, de Igor Stravinsky et Nicolas Roerich.
Musique de Igor Stravinsky.
Chorégraphie de Vaslav Nijinsky.
Décor et costumes de Nicolas Roerich ; régie de Serge Grigoriev.
Créé à Paris, au Théâtre des Champs-Élysées, le 29 mai 1913, sous la direction de Pierre Monteux. Principal interprète : Marie Piltz (l’Élue).
Reprise en 1920, dans une nouvelle chorégraphie de Léonide Massine avec Lydia Sokolova dans le rôle de l’Élue.
Argument de la première version
« Premier tableau : L’Adoration de la Terre
Printemps. La Terre est couverte de fleurs. La Terre est couverte d’herbe. Une grande joie règne sur la Terre. Les hommes se livrent à la danse et interrogent l’avenir selon les rites. L’Aïeul de tous les sages prend part lui-même à la glorification du Printemps. On l’amène pour l’unir à la Terre abondante et superbe. Chacun piétine la Terre avec extase.
Deuxième tableau : Le Sacrifice
Après le jour, après minuit. Sur les collines sont les pierres consacrées. Les adolescentes mènent les jeux mythiques et cherchent la grande voie. On glorifie, on acclame Celle qui fut désignée pour être livrée aux Dieux. On appelle les Aïeux, témoins vénérés. Et les sages aïeux des hommes contemplent le sacrifice. C’est ainsi qu’on sacrifie à Iarilo, le magnifique, le flamboyant. »