Un expatrié
russe
Un expatrié
Russe
La veille de la célébrité
« Observez bien cet homme, me dit-il un jour en montrant du doigt Stravinsky, c’est quelqu’un qui est à la veille de devenir célèbre. »
Tamara Karsavina, Souvenirs (1931).
Igor Stravinsky (1882-1971), jusque là inconnu en France et âgé seulement de 28 ans, devient célèbre du jour au lendemain, grâce à L’Oiseau de feu en 1910. Né dans une famille de gros propriétaires et d’artistes (son père est un baryton-basse au Théâtre impérial), il se reconnaît musicien autodidacte. Ce ne sera qu’assez tardivement, à l’âge de 24 ans, qu’il reçoit des leçons de Rimski-Korsakov, de 1906 jusqu’au décès du maître en 1908. À cette époque, Stravinsky avait réussi à faire jouer quelques-unes de ses œuvres par l’Orchestre de la Cour, aux concerts Belaiev et aux Soirées de musique contemporaine organisés par deux anciens miriskusniki, Walter Nouvel et Alfred Nurok. C’est après avoir écouté le Scherzo fantastique et Feu d’artifice que Diaghilev passa ses deux premières commandes à Stravinsky : l’orchestration des deux pièces de Chopin pour Les Sylphides (au programme de la saison de 1909) et son premier ballet, L’Oiseau de feu, pour la saison suivante.
Diaghilev et Stravinsky à Séville en 1921. Source : Houghton Library, Harvard University.
Musicien russe, plus tard naturalisé français (1934) et américain (1945), il s’établit d’abord en Suisse puis à Paris, dès le début des années 1920. Après son premier succès avec L’Oiseau de feu, sa prometeuse carrière musicale est marquée par l’amitié et le soutien de Diaghilev pour qui il écrit des ballets et opéras : Pétrouchka (1911), Le Sacre du printemps (1913), Le Rossignol (1914), Feu d’artifice (1917), Le Chant du Rossignol (1920), Pulcinella (1920), Renard (1922), Mavra (1922), Noces (1923), Œdipus Rex (1927) et Apollon musagète (1928).
De la musique inouïe
« J’ai vu récemment Stravinsky… Il dit :“ Mon Oiseau de feu”, mon “Sacre”, comme un enfant dit : ma toupie, mon cerceau. Et, c’est exactement : un enfant gâté qui, parfois, met les doigts dans le nez de la musique. C’est aussi un jeune sauvage qui porte des cravates tumultueuses, baise la main des femmes en leur marchant sur les pieds. Vieux, il sera insupportable, c’est-à-dire qu’il ne supportera aucune musique. Mais pour l’instant : il est inouï !
Lettre de Claude Debussy à Robert Godet, 4 janvier 1916.
Les premières œuvres de Stravinsky témoignent de l’influence des compositeurs russes (notamment Rimski-Korsakov, Glazounov, Borodine, Moussorgski, Glinka, Tchaïkovski) et français (Dukas, Debussy, Ravel) sur son écriture. Si ses premiers auditeurs remarquent le caractère inouï de sa musique (la préponderance rythmique, les motifs à répétition, l’utilisation de thèmes folkloriques, l’opposition de pôles tonaux, superpositions de lignes…), ils se heurtent à la difficulté de définir le style de Stravinsky à travers des œuvres à première vue si disparates. Pour son ami et biographe, André Schaeffner (1895-1980), chacune de ses compositions témoigne d’une problématique concrète et qu’il cherchait à régler d’une manière très personnelle. Observations qui rejoingnent les déclarations du compositeur en 1935 : « J’ai toujours préféré et je préfère jusqu’à présent, réaliser mes idées et résoudre les problèmes qui se présentent à moi au cours de mon travail, uniquement à l’aide de mes propres forces, sans avoir recours à des procédés établis. »
Igor Stravinsky et Claude Debussy (1915). Photographie d’ Erik Satie. Source : gallica.bnf.fr / BnF.