Les « Saisons russes »
à Paris (1906-1929)
Les Saisons russes
1906-1929
Le Jugement de Paris
« Paraître et être appréciés à Paris nous semblait être le comble de la félicité et une consécration définitive. Connaître l’opinion des Parisiens nous paraissait le meilleur, le plus subtil des enseignements. »
Alexandre Benois, « Serge de Diaghilev », La Revue musicale (1930).
Après la séparation de Mir Iskusstva, Diaghilev poursuit ses projets personnels d’expositions. En 1905, il présente à Saint-Pétersbourg une imposante sélection de portraits russes des xviiie et xixe siècles. Si le succès de cette manifestation lui permit de regagner la confiance des autorités, le climat politique incertain ne favorise pas le développement de son projet artistique. En effet, l’agitation et les troubles sociaux qui mènent à la révolution de 1905, ainsi que les conséquences de la défaite des troupes impériales dans la guerre russo-japonaise, ruinent l’économie russe, désormais dépendante de l’étranger. Dans le contexte de l’établissement des fameux emprunts russes et du rapprochement diplomatique de l’empire et de la France, des initiatives artistiques franco-russes sont encouragées. Le bouillonnement culturel parisien, qui touche alors tous les domaines de la création (musique, peinture, littérature… ), attire naturellement Diaghilev et ses amis-collaborateurs.
Fort de ses expériences passées, Diaghilev organise au Grand Palais une exposition d’art russe à Paris, dans le cadre du Salon d’automne de 1906. Pour cette première manifestation, il s’appuie sur la collaboration de ses amis Léon Bakst et Alexandre Benois. Fidèle à ses principes, Diaghilev met en valeur le passé et l’avenir de l’art russe — icônes et réalisations des peintres contemporains — révelant au public les représentants de Mir Iskusstva et passant sous silence les courants plus académiques. Le succès retentissant de cette exposition, soutenue par le grand-duc Vladimir (1847-1909), lui ouvre les portes des cercles mondains et artistiques parisiens. Des esprits « raffinés, désintéressés, très cultivés et vifs », d’après Benois, qui aident Diaghilev et ses proches à s’implanter solidement à Paris.
Grâce à ces nouveaux soutiens, Diaghilev songe immédiatement à l’organisation d’un festival de musique russe à Paris pour le mois de mai de l’année suivante. Les « Cinq Concerts historiques russes » associent des œuvres instrumentales avec des extraits d’airs d’opéras russes, parfois en présence ou avec le concours de leurs auteurs. Nicolaï Rimski-Korsakov (1848-1908), Alexandre Glazounov (1865-1936), Alexandre Scriabine (1872-1915), Sergueï Rachmaninov (1873-1943) se rendent spécialement en France à l’invitation de Diaghilev pour assister à cette manifestation. Les concerts sont donnés par des interprètes d’exception : la basse Fédor Chaliapine (1873-1938), la soprano Félia Litvinne (1860-1936) ou le chef d’orchestre Arthur Nikisch (1855-1922). Cette première expérience donne lieu aux sept représentations de gala de 1908, où Diaghilev donne à entendre à un public ébloui, Boris Godounov de Moussorgski (1839-1881). À l’appui du succès de ces trois premières « saisons russes » Diaghilev s’engage dans une nouvelle aventure artistique qui le rendra célèbre, celle des Ballets russes.
Les Ballets russes (1909-1929)
« De l’opéra au ballet il n’y a qu’un pas. »
Lettre de Diaghilev à Lifar (1928).
Si dans sa jeunesse Diaghilev ne partageait nullement l’engouement de ses amis Pickwickiens par le monde de la danse, le temps et les échanges avec ses camarades l’ameneront à changer de point de vue sur cet art. Si en octobre 1896, il écrivait à Benois : « Valitchka [Walter Nouvel] est insupportable avec son ballet », cinq ans plus tard, il soutenait la nouvelle production du ballet Sylvia de Léo Delibes (1836-1891) sur la scène des Théàtre impériaux. Ce projet n’aboutit pas en raison de ses différends avec l’administration, toutefois, cette première expérience encouragée par ses amis Benois, Korovine, Lanceray, Bakst et Serov permit à Diaghilev de répérer parmi les jeunes danseurs, ceux qui s’imposent contre « la tradition classique, si jalousement maintenue par Petipa ». Dès lors, il songe à la possibilité de « créer un certain nombre de ballets nouveaux qui, tout en étant pourvus de valeur artistique, établiraient un lien plus étroit que jusqu’alors entre les trois facteurs principaux qui devaient les composer : la musique, le dessin décoratif et la chorégraphie » (Lifar).
Les nouveaux contacts établis avec les cercles mondains parisiens favoriseront cette entreprise. Les premières représentations des Ballets russes au Théâtre du Châtelet furent rendues possible grâce au soutien indéfectible de l’impresario Gabriel Astruc (1864-1938). Le parrainage des mécènes-salonnières comme la comtesse Greffuhle (1860-1952) et Misia Sert (1872-1950) fut précieux au moment pour s’attirer l’appui des grandes fortunes parisiennes, celles du comte Isaac de Camondo (1851-1911), du baron Henri de Rothschild (1872-1947), de Henri Deutsch de la Meurthe (1846-1919)… Diaghilev ne ménagea pas ses efforts pour parvenir à ses fins : « il y avait […] la volonté de luxe vrai et d’opulence intégrale, […] des raffinements de toute sorte ; l’absence généreuse de toute pauvreté, de toute économie », se souvient un des premiers spectateurs, Émile Henriot.
Tel que le concevait Diaghilev, chaque spectacle réunit entre trois et cinq ballets présentés successivement. Certaines créations rapprochées des œuvres consacrées (Giselle, Le Lac des cygnes, Les Sylphides) connaissent un succès immédiat (les Danses du Prince Igor, Pétrouchka, Schéhérazade). Ainsi, Diaghilev n’hésite pas dès la création du Sacre du printemps, œuvre déconcertante par son argument, sa musique et sa chorégraphie, à l’associer aux romantiques Sylphides ou au Spectre de la rose. Au cours de ces vingt ans de productions françaises (avec deux interruptions en 1916 et 1918), la compagnie donne environ 295 représentations et compte plus de 70 ballets au programme.
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Diagrammes de cordes générés avec Datasmith, © 2023 Ben Peterson.