Collaboration
entre artistes
Collaboration
entre artistes
« À quoi rime l’Orient ? »
« (…) lorsque je produis un ballet, je ne perds pas de vue un seul instant, aucun de ces trois facteurs [musique, danse et décors]. Je me rends souvent dans les ateliers des peintres de décors, dans l’atelier de couture ; j’assiste aux répétitions de l’orchestre et je vais tous les jours voir, au studio de la danse, travailler mes artistes, depuis les étoiles jusqu’aux jeunes garçons du corps de ballet. »
Lettre de Diaghilev à Lifar (1928).
Jusqu’à la Première Guerre, le succès des Ballets russes repose principalement sur la collaboration de fortes personnalités artistiques : Fokine, Stravinsky, Bakst et Benois. Le répertoire des premières saisons cherche l’équilibre entre tradition et modernité, où les chorégraphies révisées par Fokine des ballets joués à Saint-Pétersbourg se côtoient avec des créations qui évoquent un Orient tour à tour envoûtant ou barbare.
Michel Fokine (1880-1942) assure par ses chorégraphies novatrices les premiers succès des premières saisons des Ballets russes. Engagé comme premier danseur au Théâtre Mariinski dès la fin de ses études, il développe une double activité de chorégraphe et de maître de ballet. L’approche de son enseignement est novatrice. « J’essayai de donner une signification aux mouvements et aux poses ; j’essayai de ne pas transformer la danse en gymnastique ». En 1909, Fokine quitte ses fonctions au Théâtre Mariinski et devient chorégraphe attitré de la compagnie de Diaghilev jusqu’à son départ en 1912. Sa démarche s’appuie sur un retour à l’essentiel du mouvement afin de susciter une véritable émotion chez le spectateur. Ses ballets sont conçus comme un tout continu réalisant la symbiose entre livret, musique, décors et costumes. Au cours des premières saisons, Fokine collabore principalement avec Bakst (Schéhérazade, Le Spectre de la rose, Daphnis et Chloé, Thamar, Le dieu bleu) et Benois (Le Pavillon d’Armide, Les Sylphides, Pétrouchka).
Deux couvertures des programmes officiels de la saison 1910 à Paris. À gauche : Tamara Karsavina et Vaslav Nijinsky dans Les Sylphides. À droite : illustration de Léon Bakst du Schah dans Schéhérazade.
Mais le chorégraphe ne serait rien sans ses danseurs… Trois artistes se détachent du corps de la compagnie au cours de ces premières années : Enrico Cecchetti (1850-1928) tout d’abord, qui forme les étoiles de la troupe et qui demeurera tout au long de sa vie un proche conseiller de Diaghilev ; Tamara Karsavina (1885-1978), créatrice des ballets de Fokine et son partenaire Vaslav Nijinsky (1890-1950). Ce dernier, très apprécié du public parisien, devient progressivement la vedette recherchée de la compagnie, se voyant confier la chorégraphie de L’Après-midi d’un faune (1912), de Jeux (1913) et du Sacre du printemps (1913) et détrônant ainsi Fokine. Ce changement reflète également un tournant esthétique pris par la compagnie. En effet, si le succès des premières saisons fut étroitement lié à l’évocation du charme oriental ou de sa sauvagerie – domaine dans lequel le duo Fokine-Bakst excellaient – Diaghilev, voulant échapper à toute forme de routine, chercha à renouveler ses programmes par de propositions artistiques audacieuses. Les chorégraphies d’inspiration dalcroziènne de Nijinsky ne firent pas l’unanimité mais elles offrirent une nouvelle visibilité à la compagnie, ne serait-ce qu’à travers quelques scandales.
« Étonnez-moi »
« Diaghilev […] n’estimait ses collaborateurs que dans la mesure où, à son point de vue, ils avaient quelque chose de nouveau à apporter. »
Serge Grigoriev, The Diaghilev Ballet (1953).
« Étonnez-moi ! » tel était l’impératif que Diaghilev imposait à ses collaborateurs. Mais au-delà de cette injonction, les conséquences de la guerre, puis les départs successifs de Fokine et de Nijinsky obligèrent très concrètement la troupe de Diaghilev à se réinventer. De nouveaux membres furent intégrés à la compagnie, parmi eux, Léonide Massine (1896-1979), acteur et danseur qui s’était déjà fait remarquer par sa participation dans La Légende de Joseph. C’est lui qui signe les chorégraphies de Soleil de nuit (en 1915 avec Bakst), des Femmes de bonne humeur (en 1917 avec Bakst également), de La Boutique fantasque (en 1919 avec Derain) et ainsi que celles de Parade, du Tricorne et de Pulcinella (avec Picasso en 1917 et 1920). Selon Pierre Michaut, il offre une ouverture vers « les anciennes formes de danse et […] la veine burlesque ». De toutes ses réalisations, la plus remarquable sera sans doute Parade qui en dépit d’un accueil assez froid à sa création (1917), anticipe déjà l’esthétique d’après-guerre. Ici, selon l’expression de Guillaume Apollinaire, Massine se plie « d’une façon surprenante à la discipline picassienne », atteignant une forme de « sur-réalisme ».
Après la guerre, les Ballets russes se renouvellent encore grâce aux collaborations qu’ils nouent avec des compositeurs français, tels que Francis Poulenc (1899-1963), Darius Milhaud (1892-1974) et Georges Auric (1899-1983) qui travaillent étroitement avec Pablo Picasso (1881-1973), Juan Gris (1887-1927) ou Georges Braque (1882-1963). Mais Stravinsky, désormais en bons termes avec Diaghilev, signe également plusieurs œuvres. Cette nouvelle étape est marquée par les créations de Bronislava Nijinska (1891-1972), sœur de Vaslav et remplaçante de Massine, qui avait quitté la compagnie en 1921. De cette époque datent Renard (1922), Noces (1923), Mavra (1922), Le Train bleu (1924), Les Biches (1924) et Les Fâcheux (1924). Les chorégraphies de ces œuvres réputées très techniques, sont appréciées par leur « ingéniosité » (Stravinsky) et leur « beauté » (Poulenc).
Deux couvertures des programmes. À gauche : « Chinois », illustration de Picasso pour le ballet Parade (1917). À droite : deux costumes de J.M. Sert pour Astuce feminine (1920).
Les dernières années de la compagnie seront marquées par le retour de Massine et l’arrivée de George Balanchine (1904-1983) et de Serge Lifar (1905-1986). Leurs chorégraphies participent à une nouvelle orientation des Ballets russes, plus en accord avec l’esprit des « années folles ». Diaghilev fera appel à G. Auric, Henri Sauguet (1901-1989) et Serguei Prokofiev (1891-1953) pour mettre en musique ce nouveau chapitre de l’histoire de la compagnie. Néanmoins, les temps ont changé et le paysage artistique n’est plus le même que celui qui avait accueilli les débuts de la compagnie. Les Ballets suédois imposent une sérieuse concurrence aux Ballets russes et, fatigué et affaibli, Diaghilev s’éteint à Venise l’été 1929.